"Soit empathique et ferme ta gueule"
Publié : Vendredi 15 Janvier 2010 22:29
Un très bon article sur le blog de Camile. A méditer !
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Camile a écrit :Le poker est souvent la cause de nombreuse discutions voire dispute. Quand c'est une discussion stratégique c'est intéressant, quand c'est une joute verbale dû à la déception des uns ou la susceptibilité des autres alors c'est souvent sans intérêt voire même néfaste pour les relations extra-pokerienne.
A mes débuts, j'ai longtemps été un donneur de leçon. Le gars casse couilles qui essayaient d'expliquer aux autres pourquoi ils avaient mal joué. Et surtout pourquoi c'était encore plus mal joué de m'avoir sorti du tournoi de cette manière. Sur le plan stratégique, j'avais surement raison, car je comprenais mieux le jeu que la moyenne de mes compagnons. Mais sur le plan de la morale et de la classe je n'avais rien compris.
Il m'a fallu du temps pour intégrer quelque chose. Alors que je jouais un tournoi live, j'ai vu un joueur gagner un pot colossal. Et en abattant ses cartes, il a sauté en l'air et a dit : « j'ai full !». Pendant plus d'une minute, i l est resté à regardé ses cartes sans même porter attention au pot qu'il venait de gagner. Ce jour, j'ai compris pourquoi ce joueur faisait des horreurs à tous le monde et pourquoi il payait toujours des trucs qu'il savait lui-même impayable. Tout simplement, parce que même s'il jouait pour gagner de l'argent et le tournoi, ça motivation première était de faire de belles combinaisons de cartes. Voilà ce qui le faisait vibrer dans le poker ! Voila quelle était sa motivation première !
Et oui, il y a une notion que peu d'entre nous intégrons dans nos parties. Ce sont les motivations des uns et des autres. C'est pourtant un aspect primordial du jeu. Sans cerner la motivation de notre adversaire, non seulement on ne peut pas en tirer une exploitation maximum, mais en plus rien ne sert de lui donner des explications ou de lui faire des reproches sur sa façon de jouer.
En effet, si un gars paye un 3bet all-in avec 67s avec une profondeur de tapis de 100BB. De quel droit puis je me permettre de lui expliquer que c'est super mal joué une fois qu'il a tiré sa quinte à la river et m'a craqué ma paire d'as ? La réponse est que je n'en ai aucun droit et ceux pour plusieurs raisons. La première est évidente. Je ne souhaite qu'une chose c'est que cette situation se reproduise tous les jours. Alors comment puis reprocher un call à quelqu'un, alors qu'avant que la river montre sa quinte je me frottais les mains. La seconde qui est dans notre propos ici, est que quand moi je joue en essayant de prendre les meilleurs décisions qui me permettrons de tirer le plus grand profit, mon adversaire ne joue pas pour ça. Dans mon référentiel, il a effectivement mal joué, mais dans le sien c'est le coup le mieux joué de sa soirée. Car qu'est ce qui fera faire de beaux rêves à ce type de joueurs en se couchant ? Pour certains ce sera la satisfaction d'avoir infligé un gros bad beat, pour d'autres le plaisir d'avoir eu une intuition extraordinaire. Et le fait d'avoir tiré leur quinte à la river, remplira de joie ces deux types de joueurs. Alors je me répète, mais de quel droit puis-je imposer à autrui la manière dont il doit tirer du plaisir en jouant au poker ? Qui suis-je pour me permettre de dire à l'autre ce qu'il doit rechercher pour passer un bon moment en jouant ? Je ne répondrais pas à cette question, car la réponse est pour moi évidente.
Un dernier exemple plus récent pour illustrer mon propos. La semaine dernière, je jouais un tournoi au club 3.14. A plus de 2 h du matin, nous n'étions plus que 3 sur la cinquantaine de partant. Le chip leader qui me couvrait de quelques jetons avait déjà manifesté son agacement à une ou deux reprises sur l'heure qui se faisait de plus en plus tardive. Il relança ma grosse blind comme il l'avait fait plusieurs fois. Son éventail était assez large, mais il n'était pas anytwo non plus. J'ouvrie 66 et je pris le temps de la réflexion. Difficile de folder cette main à trois avec une profondeur de tapis qui ne devait pas dépasser les 15 BB. Je savais que je ne pouvais pas me contenter de payer hors position, mais il me paraissait sous optimal de folder ma main ici. Avec une paire et de la fold equité, j'ai décidé d'envoyer le tapis en sachant que son éventail de call serait beaucoup plus large que d'habitude à cause de l'heure tardive qui commençait à l'agacer. Il a hésité un moment et après un « il est tard, ça commence à me souler ! » il a payé. C'est la phrase que je ne voulais pas entendre, car il n'avait pas besoin de retourner ces cartes pour que je sache que je me retrouvais en situation de coin flip. Lorsqu'il retourna A8, on entendit, parmi les observateurs encore nombreux, plusieurs voix qui s'élevèrent en disant : « quoi tu payes avec ça ! ». Ce coup fut mon dernier coup de la soirée et je quittais la salle en entendant quelques critiques sur le call de mon adversaire. Premièrement, bien que borderline je ne pense pas que ce call soit si horrible que cela. Mais surtout ce gars était fatigué et vraisemblablement, la perspective de se réveiller le lendemain matin la tête dans le cul pour aller bosser ne l'enchantait pas du tout. Qui pouvait lui reprocher d'écourter les débats ? Pas moi en tout cas. Je comprends tout à fait que passer une journée entière à bosser en ayant dormi un minimum de temps soit plus important que gagner un coup de cartes. Le poker ce n'est qu'un jeu après tout !
Sans entrer dans des situations extrêmes comme le premier exemple ou dans des cas un peu particulier comme le dernier, de la même manière j'essaye au maximum de ne plus juger les décisions stratégiques des autres, en tout cas jamais à haute voix. En regardant d'autres joueurs avoir des résultats avec des styles très différents du mien, j'ai compris qu'il n'y avait pas qu'une seule manière de jouer un tournoi de poker. Surtout quand ses styles me paraissaient de prime abord sous optimale. C'est souvent la réussite qui faisait gagner ses joueurs sur des périodes plus ou moins longues, mais parfois c'est tout simplement qu'ils maitrisaient des notions que je ne connaissais pas ou ne maitrisais pas. Entre deux joueurs qui ont la même motivation : gagner, il y a parfois des différences de niveau ou de philosophie, voire même de logique, qui poussent ces deux joueurs à prendre des décisions radicalement différentes. Certes les mathématiques permettront très souvent de choisir ou départager la meilleure décision. Mais la science du poker relève quelque part des sciences humaine et on ne peut donc pas tout mettre sous forme d'équation, car certain paramètres sont trop incertains. Le poker n'est il pas un jeu d'informations incomplète ? Et quand on parle d'information incomplète on ne parle pas que des cartes. Voilà pourquoi réfléchir avec sa propre cervelle dans la tête d'autrui est une grave erreur qui peut nous pousser à prendre les pires décisions.
Voilà maintenant plusieurs années que je suis un camardes de jeu respectable à une table de poker. En d'autres termes, depuis que j'ai compris tout cela, je ne casse plus les couilles à personne, en tout cas plus sur la manière de jouer des autres. Maintenant, je me dis que chacun fait ce qu'il veut de ses jetons et je ne me permes plus de critiquer la façon de jouer d'autrui. Et si je le fais, j'essaye d'être le plus courtois possible et c'est parce que je pense qu'une discussion stratégique enrichissante peu s'engager entre moi et mon interlocuteur. En plus de soulager mes camarades de jeu, j'avoue être le grand bénéficiaire de se changement de mentalité. Les sorties des tournois se font plus en douceur et je vis beaucoup mieux le poker et ces aléas.
En conclusion, je dirais qu'en plus d'être une faute stratégique énorme, ne pas tenir compte de la motivation et de la manière de penser d'autrui à la table est une méconnaissance du jeu qui pousse souvent certain d'entre nous à des scandales et des dialogues de sourds qui n'ont pas lieu d'être. Tout simplement, car bien souvent nous ne parlons pas le même langage.
Cet article m'a été inspiré par mes expériences récentes au club 3.14. Depuis que j'y joue, je retrouve régulièrement les bonnes ambiances du jeu live et les travers qui vont avec : les frustrations, les agacements et les petits scandales qui en découlent. Combien de fois ai-je été critiqué sur ma manière de jouer en prenant des gros pots ou en sortant des joueur s? Souvent les critiques était injustifiées et était due à la déception ou à l'ignorance de mon adversaire. D'autres fois, elles étaient justifiés, Mais connaissait-il ma motivation première à ce moment pour se permettre de porter un jugement sur moi ?